Productivité

Holacratie : révolution Managériale ou Défi Organisationnel ?

Gilles PittetGilles Pittet |

À l’heure où le système de management pyramidal, inspiré de Taylor et Ford, est perçu comme rigide et obsolète sur le plan culturel, de nouvelles formes d’organisation du travail émergent progressivement.¹

Les modèles d'autogestion représentent une partie importante de ces nouvelles structures organisationnelles. Pour comprendre les raisons qui poussent les organisations à adopter ces modèles d'autogestion, il faut comprendre ce que les dirigeants attendent le plus de leurs organisations, soit de la fiabilité et de l'adaptabilité. Toutes les organisations veulent atteindre, dans une certaine mesure, à la fois la fiabilité et l'adaptabilité. Mais généralement l'une éclipse l'autre. En effet, une trop grande fiabilité crée de la rigidité et peut rendre les entreprises insensibles à l'évolution des marchés. À l’inverse, si les entreprises mettent trop l'accent sur l'adaptation, elles risquent de se disperser et de perdre de vue leur raison d’être. Afin d’essayer de concilier fiabilité et adaptabilité, l’holacratie, le modèle d’autogestion le plus connu et pratiqué, aide à atteindre cet équilibre.²

Mais qu’est-ce que l’holacratie ?

Selon Bernard Marie Chiquet, fondateur d’IGI Partners (entreprise qui importe l’holacratie en Europe depuis les Etats-Unis), l’holacratie est une pratique qui promeut la responsabilité et aide à la coopération au service de la raison d’être de l’entreprise. Dans cette pratique, il n’y a plus de manager à proprement parler, mais chacun est invité à se gérer soi-même et doit faire preuve de leadership. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de structure. En holacratie, il est fait mention de « structure holarchique ». Voici un schéma illustrant le fonctionnement de la structure en question :

Graphique illustrant la structure en cercles et les rôles dans l'holacratie, montrant comment les équipes autonomes et les rôles interconnectés fonctionnent sans hiérarchie traditionnelle.

Le super cercle

Aussi appelé cercle général de l’entreprise, le super cercle représente l’entreprise dans son ensemble. Il est notamment composé du 1ᵉʳ et 2ᵉ lien de chaque sous-cercle.

Le sous-cercle

représente les équipes autonomes ou chaque personne a un rôle et travaille pour le même but. Les sous-cercles se forment ou se dissolvent en fonction de l'évolution des besoins de l'organisation.

Le rôle

Le rôle est un ensemble de responsabilités au sein de l’organisation. Les rôles peuvent être créés, modifiés ou annulés. Les personnes en ont généralement plus d'un et dans plusieurs cercles. Il existe des rôles opérationnels et des rôles structurels. Les différents rôles structurels, qui ont moins vocation à effectuer des tâches opérationnelles, doivent garantir le bon fonctionnement de l’équipe (= sous-cercle) en son sein et dans l’organisation. Voici les deux principaux rôles structurels : - 1ᵉʳ lien : dans chaque sous-cercle, une personne endosse le rôle de coach, similaire au chef ou manager dans un système pyramidal. Cette personne a pour responsabilités l'attribution des rôles, la gestion des finances et des priorités, le coaching des membres de l'équipe, et le maintien d'une bonne ambiance. Ces tâches occupent environ 10% de son temps, le reste étant consacré à d'autres rôles selon ses compétences. - 2ᵉ lien : est responsable de remonter une tension d’un sous cercle au super cercle si celle-ci dépasse l’autorité du sous-cercle en question.

Aussi, et afin d’être mieux organisé et plus efficace que dans une structure dite classique, la « structure holarchique » s’appuie sur trois types de réunions. Les réunions dites :

  • de stratégie visant à définir l’orientation de l’entreprise.
  • de gouvernance qui ont pour objectif de travailler sur l’organisation sans aborder des points liés à l’opérationnel.
  • et de triage qui ont pour but de travailler dans l’organisation c’est-à-dire sur des sujets concrets (opérationnels) à faire évoluer.

Lors de ces séances, un ordre, des règles strictes ainsi que des rôles bien précis sont à respecter. Chaque participant est invité à parler à tour de rôle et à soumettre des idées ou des tensions. Le but est de trouver des solutions de manière collective et ainsi faire évoluer l’organisation grâce à l’implication de chacun.³

L'holacratie : un changement de paradigme culturel

Adopter l'holacratie ne se limite pas à une transformation organisationnelle ; c'est également un changement profond dans la culture d'entreprise. L'un des principaux défis pour les entreprises est d'abandonner la culture de la hiérarchie et du contrôle, profondément ancrée dans les systèmes traditionnels. Les employés, habitués à des structures rigides avec des chaînes de commandement claires, doivent apprendre à fonctionner de manière autonome et à embrasser la responsabilité individuelle.

Graphique comparant l'holacratie et le système pyramidal traditionnel, illustrant les différences structurelles et l'impact organisationnel.

Cela nécessite non seulement une nouvelle manière de penser, mais aussi une nouvelle manière de travailler ensemble. Dans une structure holarchique, les employés doivent s'approprier une certaine forme de leadership individuel, tout en collaborant plus étroitement avec leurs collègues. La prise de décision collaborative, qui est au cœur de l'holacratie, peut prendre plus de temps et demander plus de patience que dans un modèle pyramidal. Cependant, cette approche permet d'améliorer la transparence, la responsabilité individuelle et l'alignement au sein des équipes. Chaque employé est incité à prendre des initiatives et à s’impliquer davantage dans les processus décisionnels. Cela crée un environnement où l’autonomie est non seulement encouragée, mais valorisée. L'holacratie pousse également à une communication plus ouverte et régulière entre les membres de l'équipe, réduisant ainsi les silos d'information et renforçant l’esprit d'équipe.

Un autre aspect clé est que les entreprises doivent être prêtes à réinventer leurs systèmes de récompense et de reconnaissance. Dans une organisation holacratique, les promotions traditionnelles ne sont plus pertinentes, car il n'y a plus de niveaux hiérarchiques à gravir. Cela bouleverse le modèle traditionnel de progression de carrière. Les employés doivent être motivés par d'autres formes de reconnaissance, telles que l'élargissement des responsabilités, la possibilité de contribuer à des projets variés, ou encore des mécanismes de feedback régulier. Pour que ce système fonctionne bien, les employés doivent aussi avoir une vision claire de leurs objectifs et comprendre comment leur travail contribue à la raison d’être de l’organisation.

Les limites de l’holacratie

Bien que l'holacratie ait été adoptée par de nombreuses entreprises, certaines, comme Zappos, filiale d'Amazon, l'ont abandonnée ou n'y ont jamais adhéré. En effet, cette structure présente également des limites, telles que des règles de réunion rigides, des restrictions sur la liberté d'expression, et une efficacité remise en question. Ces différents points ont influencé la décision de Zappos de se rétracter.⁴

Concernant les rôles, l'exemple de Zappos montre qu’un employé a environ 7,4 rôles pour 3,47 responsabilités en moyenne par rôle. Soit au total plus de 25 responsabilités par employé. Cette multiplicité de rôles complique l'organisation du travail, le recrutement, et la définition des salaires, car il devient difficile d'évaluer un salaire équitable. En effet, au fur et à mesure que les employés compilent les différents rôles, établir un salaire par rapport à ce qui se fait sur le marché devient quasiment impossible.

Un autre point délicat dans l'adoption de l'holacratie est le besoin d'une discipline accrue. Dans un modèle où les individus ont plus d'autonomie et de responsabilité, il peut être facile pour certains de perdre de vue les priorités de l'entreprise. De plus, toutes les personnalités ne s'adaptent pas facilement à ce niveau d'auto-gestion. Certains employés peuvent ressentir un stress accru face à la nécessité de prendre plus d'initiatives et d'assumer des responsabilités sans l'encadrement traditionnel. Cela peut également créer un manque de clarté dans la répartition des tâches, surtout dans des organisations plus complexes ou plus grandes, où la communication et la coordination sont essentielles.

Malgré son image de système de gestion innovant, l'holacratie ne convient pas à toutes les entreprises. Son adoption peut prendre des années et entraîner le départ de nombreux employés. Pour les grandes entreprises, une adoption partielle est recommandée. En revanche, pour les start-ups et les PME dont le niveau d’adaptabilité de l’organisation est élevé et leur taille relativement petite, l’holacratie s’apparente être une solution appropriée. D’ailleurs, nombre d’entre elles sont des « early adopters ». ⁵

Holacratie et gestion des conflits

La gestion des tensions est un élément clé dans une organisation holarchique. Les tensions, selon l'holacratie, sont définies comme des écarts entre l'état actuel de l'organisation et ce que pourrait être une situation idéale. Ces tensions sont souvent vues comme des opportunités d'amélioration. Toutefois, la gestion des tensions peut parfois devenir une source de frustration. En effet, si elles ne sont pas traitées rapidement ou efficacement, elles peuvent entraîner des conflits entre les membres de l'équipe.

Le rôle du facilitateur est donc crucial pour assurer que les tensions soient résolues de manière constructive. Dans une structure traditionnelle, les conflits sont souvent gérés de manière descendante, avec un manager ou un superviseur jouant le rôle d'arbitre. En holacratie, la résolution des conflits est plus horizontale, avec des équipes qui doivent souvent trouver elles-mêmes des solutions aux problèmes qui surgissent. Cela nécessite un haut niveau de maturité et de compétences en communication de la part des membres de l'équipe. Pour que cela fonctionne, l'organisation doit mettre en place des processus de résolution de conflits bien définis et des cadres clairs pour l’escalade des tensions.

Les avantages à long terme de l'holacratie

Malgré les défis qu’elle présente, l'holacratie offre de nombreux avantages potentiels à long terme. En adoptant un modèle de gouvernance plus flexible, les entreprises peuvent améliorer leur résilience face aux changements du marché. L'autonomie accrue des équipes favorise l'innovation, car les idées peuvent émerger plus rapidement et être mises en œuvre sans passer par une longue chaîne de validation. Cette réactivité accrue est essentielle dans des secteurs où les évolutions sont rapides et où l'adaptabilité est un facteur clé de succès.

L'un des principaux avantages de l'holacratie est qu'elle encourage une meilleure utilisation des compétences des employés. En effet, les collaborateurs ne sont plus limités à un seul rôle ou poste défini ; ils peuvent contribuer à différents projets et cercles en fonction de leurs talents et de leurs intérêts. Cela permet également d’éviter que certains talents restent inexploités ou que des compétences précieuses ne soient sous-utilisées. Cette approche peut entraîner une plus grande satisfaction professionnelle et une plus forte rétention des talents, car les employés sentent qu'ils ont une plus grande liberté de développer leurs compétences et d'élargir leur champ d'action au sein de l'organisation.

Enfin, l'holacratie permet une meilleure agilité organisationnelle. Les entreprises qui adoptent ce modèle sont souvent plus réactives aux évolutions du marché, car elles ne sont pas freinées par des structures rigides. Les décisions sont prises plus rapidement et plus près des équipes opérationnelles, ce qui permet d'ajuster les stratégies en temps réel. Cette flexibilité peut être un avantage concurrentiel majeur, surtout dans des marchés dynamiques où la capacité à réagir rapidement aux changements est cruciale.

Graphique illustrant les avantages de l'holacratie, en mettant l'accent sur l'adaptabilité, l'autonomie, l'agility et l'alignement des équipes.

Holacratie et innovation : une synergie gagnante

L'une des grandes forces de l'holacratie réside dans sa capacité à favoriser l'innovation. En supprimant les barrières hiérarchiques, les employés se sentent plus libres de proposer des idées nouvelles, même si elles sortent des sentiers battus. Cette capacité à faire émerger des idées nouvelles est essentielle dans un monde où les marchés évoluent rapidement et où les entreprises doivent constamment se réinventer. L'holacratie favorise également la prise de risques calculée, car chaque cercle peut expérimenter à petite échelle sans craindre de lourdes conséquences pour l’ensemble de l’organisation.

De plus, l'holacratie permet de tester des idées de manière plus rapide. Chaque cercle peut prendre des décisions de manière indépendante et mettre en place des prototypes ou des projets pilotes sans attendre l'approbation d'une direction générale. Cela réduit les délais de mise sur le marché et permet à l'entreprise de rester compétitive. Cela est particulièrement bénéfique pour les startups ou les entreprises en forte croissance, où la capacité à innover et à s'adapter rapidement est cruciale pour survivre et prospérer.

L'holacratie encourage également la diversité des points de vue, en permettant à chacun, quel que soit son rôle ou son statut, de contribuer à la réflexion collective. Cette diversité est un moteur puissant de l'innovation, car elle permet de confronter des idées variées et d'explorer des solutions plus créatives aux défis auxquels l'entreprise est confrontée. Elle permet aussi de briser la tendance à la pensée unique, en favorisant l’inclusion des voix de tous les niveaux et en donnant à chacun la possibilité de participer activement à la création de valeur pour l’entreprise.

En conclusion, l’holacratie est un modèle de management innovant, remettant en cause les structures classiques. Cependant, son application soulève des défis, particulièrement dans la gestion complexe des rôles et de l'organisation. Adaptée aux entreprises agiles comme les start-ups et certaines PME, elle n'est pas une solution universelle, surtout pour les grandes structures. Chaque entreprise doit donc évaluer attentivement ses besoins spécifiques avant d'adopter l'holacratie, en préparant des ajustements adaptés pour une transition réussie.

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La Gouvernance avec WEDO

Références:

  • GROSJEAN, VINCENT, LEÏCHLÉ, JACQUES et THÉVENY, LAURENT, 2016. Les nouvelles formes d’organisation du travail : opportunités ou illusions ? . 2016. Vol. 245, pp. 6-9.

  • BERNSTEIN, Ethan, BUNCH, John, CANNER, Niko et LEE, Michael, 2016. Beyond the Holacracy Hype. Harvard Business Review. Août 2016. pp. 38-49.

  • CHIQUET, Bernard Marie et APPERT, Étienne, 2013. Une nouvelle technologie managériale, l’holacracy. Goussonville : IGI partners. ISBN 978-2-9545641-1-1. 658.002 22

  • CASTILLO, Amanda, 2018. Holacratie, l’utopie qui se passe de chef. Le Temps [en ligne]. 5 octobre 2018. [Consulté le 17 avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/economie/holacratie-lutopie-se-passe-chef

  • BERNSTEIN, Ethan, BUNCH, John, CANNER, Niko et LEE, Michael, 2016. Beyond the Holacracy Hype. Harvard Business Review. Août 2016. pp. 38-49.

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